La Culpabilité des Survivants.

Ce passage suit bien des épisodes qui ne sont pas encore relatés ici, il n'est donc pas prudent de les lire à moins d'être au courant de ce qui suit les péripéties des Mondes de Solveykiel, et ce qui relate sa mort.
Merci de votre compréhension...




Dans la salle de projection, le Paternel contemplait le vide, dans un état second... Cela ne pouvait être. Cela n'avait jamais été.

La porte s'ouvrit doucement derrière lui, et Yliann pénétra dans la pièce, immédiatement suivi d'un Ederial assez inquiet et de Solveykiel adulte qui ferma la porte sans aucune discrétion.

Le plus sensible murmura ce que les autres pensaient tout bas.

« Nous ne pouvons pas te laisser seul. Pas à un tel moment. »

Le Paternel ne réagit pas un seul instant à la remarque, et continua à contempler le vide avec indifférence.

Sol-adulte s'installa fébrilement devant lui, et l'observa avec grande attention.

« Il a subi une commotion. Nous devons immédiatement l'envoyer en soins intensifs. »

Ederial s'interposa entre les deux, et écarta Solveykiel avec douceur.

« Laisse Yliann faire. »

Ce dernier s'approcha à nouveau avec douceur, et murmura à l'oreille du Paternel des propos qu'aucun autre ne put percevoir.
« Ne fais pas ça. C'est exactement ce qu'il souhaite... »

Son interlocuteur eut un sursaut, mais regagna immédiatement son mutisme et sa contemplation d'un monde qui n'appartenait qu'à lui.
Yliann reprit avec douceur :
« Ton espoir n'est pas dans l'Être des Glaces, c'est ce qu'il voudrait nous faire croire... il va falloir que tu sois fort. »

Nouveau sursaut, moins fort que le précédent. Une crispation suivie d'une larme.

Ederial murmura à l'oreille de Solveykiel-adulte pour lui expliquer ce que tentait de faire Yliann.
Les deux sortirent après concertation, après qu'Ederial eut insisté auprès de Sol pour le convaincre que les tentatives d'Yliann auraient bien plus d'effet que tous les traitements médicaux du monde.

Ederial entraina le médecin parmi un dédale de couloirs, pour se ruer sur un tableau blanc placé à côté d'un distributeur à café.

« il va falloir qu'on carbure, lâcha-t-il en se saisissant du feutre noir, parce qu'on est face à l'un des cas les plus risqués auxquels j'ai jamais fait face. »

Il commença immédiatement à écrire sur le tableau un ensemble de noms et de flèches. Sol-adulte le regarda faire en s'asseyant difficilement dans un fauteuil.

« - Nous avons déjà connu des crises, mais aucune n'incluant la mort de la moitié majeure du Duo. Où est Anoki ?

- En forêt, répondit d'une voix pâteuse le médecin. Je l'ai immédiatement fait mettre à l'abri dès que j'ai appris pour... pour... »

Sa voix se perdit.
Ederial hocha la tête, puis se tourna vers le tableau, crispé.

« Il doit bien y avoir quelque chose qui peut inverser le cours du temps... quelque chose qui pourrait ressusciter les morts... »

Énervé, il posa la tête contre le schéma qu'il venait fébrilement d'écrire. Solveykiel le dévisagea avec lourdeur avant de répondre.

« Non. Le phare a perdu toute son énergie depuis... le dernier Jeu avec le Temps. »

Ederial le regarda longuement dans le blanc des yeux avant de revenir sur le tableau.
« Admettons. Il nous faut quelque chose de plus fort. Quelque chose de plus fondamental qu'un vulgaire jeu... quelque chose de... »

Il s'interrompit, le feutre à trois centimètres du tableau qui pour le coup était rempli de choses sans liens apparents. Puis il se retourna brusquement, se rua sur la machine à café, et se servit un cappuccino bien sucré qu'il avala d'une traite. Puis il revint immédiatement au tableau.

« préparez moi-en un second... et un troisième. »

Son ton était si autoritaire que Solveykiel ne tenta même pas de le contredire, et s'exécuta immédiatement. Se lever lui fit un peu de bien... l'impression de servir à quelque chose, somme toute.
Ederial soupira d'aise. Les effets commençaient à se faire sentir.
Il écrivit de plus en plus rapidement sur le tableau, alimentant son diagramme à une vitesse de plus en plus folle et rendant son dessin de plus en plus incompréhensible.
Solveykiel le regarda faire, croisant les mains entre deux préparations de café qu'Ederial ingérait immédiatement après leur fabrication. Il ne comprenait pas ce qui se dessinait avec ardeur sur le tableau sous ses yeux.

« Je ... »

Sa question se perdit dans un souffle. Ederial se retourna, le dévisagea rapidement, et reprit sa folle course contre la montre tout en se mettant peu à peu à trembler de la main.
Une demi-heure passa de cette façon, et l'adolescent fou en était à sa 7e tasse qui était passée de cappuccino à café fort lorsqu'il s'interrompit dans un cri de victoire. Il sautait littéralement sur place.

« J'ai trouvé, j'ai trouvé !! »

Sol-adulte se rua sur lui pour lui demander ce qu'il avait trouvé. À l'instant même où il le faisait, Ederial entama un 5e saut mais tourna de l’œil et chuta souplement sur le sol.
Et Sol vit l'entièreté du tableau d'un seul coup.

Un simple coup d’œil lui suffit à comprendre, et l'instant d'après il se ruait sur Ederial pour le soigner comme il le pouvait.
Sur le tableau blanc s'étalait un amalgame d'équations, de graphiques, de schémas, de noms, mais une seul faisait converger l'immense majorité des flèches vers lui. En un graphique, Ederial avait résumé l'ensemble des systèmes des mondes les entourant, et c'en était choquant.

Solveykiel, tout en réanimant cet adolescent, ne put s'empêcher d'en avoir peur. L'entreprise qui était inscrite en un schéma sur le tableau défiait toutes les lois de tous les mondes, justement parce qu'elle utilisait toutes les lois des mondes... pour converger vers cet unique nom, dans le coin supérieur droit du tableau, sur un dessin aux allures de sorcellerie.

Oubli.









Solveykiel entra en trombe dans la salle au vidéoprojecteur, défonçant la porte d'un coup de pied, et tentant désespérément de soutenir un Ederial chancelant.

« Le petit a trouvé. »

Yliann se précipita sur Ederial avec inquiétude, mais celui-ci le rassura d'un geste, sortant vaguement de sa torpeur.
« On va... mettre a profit tous...les mécanismes... »

Devant eux, l'état du Paternel n'était pas au meilleur, mais il était sorti de sa transe coupable, ce qui n'était déjà pas peu. Il avait l'air d'avoir trop bu, comme si Yliann l'avait drogué ou saoulé, mais il réussi à lever vers eux un regard vitreux dénotant une certaine forme de vie.
Solveykiel adulte continua à expliquer à la place d'Ederial.

« On va faire ce qu'on n'a jamais fait... ce que personne n'a jamais fait... on va couper l'herbe sous le pied de l’Être des Glaces ! »

Le Paternel émit un borborygme qu'Yliann interpréta comme une affirmation fataliste.

« - Il déclare que rien n'a jamais été plus fort que l'Être des Glaces...

- Si. Les phénomènes naturels le dépassent. Et c'est sur eux qu'on va jouer. »

Solveykiel, tout en parlant, avait déposé Ederial sur une chaise et s'était approché d'un tableau identique au premier, qui venait d'apparaitre dans la salle. On sentait une forme d'excitation dans sa voix, une fois passé le choc de la révélation qu'Ederial lui avait fait subir.

«  On va devoir jouer serré, mais ça peut se faire... le plan est simple. Il nous faut utiliser les Mécanismes Fondamentaux des mondes, et plus particulièrement le mécanisme d'Oubli. Avec les trois autres, nous pourrions Oublier... oublier que Solveykiel-enfant et Chester sont morts. »

Le Paternel se mit à s'étouffer à cet instant, et Yliann réagit au quart de tour.
«  ça ne les ressuscitera pas ! »

Ederial, se sentant un peu mieux, asséna un grand coup dans le dos du Paternel pour calmer sa quinte de toux, et reprit la parole.

« Presque... pour les ressusciter, il nous faut plus, bien plus... il nous faut leurs âmes... et ces dernières, seul une personne peut nous la ramener... Yoendel. »
Il prit une inspiration avant de poursuivre.

« Vous allez dire, Yoendel n'est plus là... et c'est pour ça qu'on a doublement besoin de l'Oubli. Nous devons ramener Yoendel. »

Son affirmation laissa Yliann choqué, et le Paternel dévisagea Ederial comme s'il ne l'avait jamais vu auparavant. Il réussit à prendre la parole, non sans de nombreux instants de râle.

« tu voudrais... qu'on oublie ...que ...Yoendel est ... parti ? »

Ederial lui lança l'un des rares sourires que l'on pouvait recevoir de sa part. Sa main tremblait toujours, à cause des nombreuses doses de café.
« Exactement. Yoendel n'est pas mort... et avec le caractère quantique de ces mondes, on pourrait triturer ... triturer où il est... et s'il nous rapporte l'âme de Solveykiel ... et du Chat... le reste deviendrait un jeu... d'enfant... tout ça parce que ces mondes sont... quantiques... »

Personne ne comprit exactement l'entièreté de ce qu'il souhaitait faire, mais on l'écouta quand même pousser sa folie à son comble.

« ... Il y aura juste un problème... si on fait ça... on risque de réinitialiser... Solveykiel... et Chester... »

Il dévisagea le Paternel avec gravité.
« ... tu sais ce que ça signifie... ce n'est pas juste les... refaire... c'est... les... refaire partir de zéro...ou... ou presque... »

Il prit une immense inspiration avant de conclure.

« Alors... qui me suivra dans ma folie ? »



à cause de la folie d'un seul être, l'espace-temps venait d'être condamné à la pire des distorsions.
Ce soir là, Ederial venait de se révéler comme le dernier d'une lignée de Distorseurs d'Existences, et le digne fils de ses illustres ancêtres :

Le Dernier Sylnadrilien.