Intranisation : Chapitre 7: Mouvement de recul

Au sol, à mi chemin d'eux et de cette porte, une demi sphère a la couleur de l'acier dépassait du sol.

« C'est une porte ? » demanda A à M.

« C'est bien le genre de B, une porte aussi énorme et mégalomane… Et je suppose qu'elle doit être importante… »

Ils s'approchèrent de la sphère qui dépassait du sol.

M s’accroupit. La demi sphère, d'un gris tirant presque sur le bleu foncé, était coupée en deux par une fente de deux doigts de large perpendiculaire par rapport à la position de la porte. Au sommet, un vide de la forme d'un cercle de la taille d'une paume de main laissait voir une autre sphère dont le centre était le même que celui de la première, et avec une fente du même genre, mais qui était cette fois perpendiculaire par rapport à la porte, et sans cercle de vide. Et encore en dessous, M n'était pas sur de ce qu'il voyait. Peut être une troisième sphère.

M détacha ses yeux de la sphère pour regarder la porte vers laquelle A s'était dirigé à la moitié du temps d'observation qu'il s'était permis. Se levant, il arriva en quelques pas au niveau de celui ci, arborant un visage laissant vaguement planer quelques émotions comme la curiosité, le respect, et l'impuissance, tout du moins, selon la vision qu'en avait A.

« C'est une sacré porte. » fit remarquer A, quand il eut l'impression que M en arrivait à la même conclusion.

« La question, avec B, ça serait de savoir comment l'ouvrir… » répondit celui ci.

« Encore faudrait-il qu'on sache à quoi elle sert, cette porte. »

M regarda à nouveau la demi sphère. « Si ce truc est dans le même monde, c'est certainement pas uniquement pour la décoration », fit il remarquer.

A jaugea la sphère d'un œil critique. « Et si on était du mauvais coté de la porte ? »

« C'est une idée… Donc dans tout les cas, cette sphère au sol aurait son importance. »

« Si on est du côté à ouvrir, connaissant B, ce truc doit sans doute être un moyen de contrôler la porte… »

« Possible… »

Ils retournèrent au niveau de la chose en question.

M s’accroupit une seconde fois. Il approcha un doigt peu sur de lui de la surface de la sphère. Il regarda A, qui haussa les épaules, l'air de dire qu'il n'y avait rien à perdre.

Il toucha donc.

Un petit éclair bleu, et les sphères creuses se mirent à tournoyer, dans un bruit métallique dépourvu de tout grincement ou autre impureté sonore. A et M se reculèrent sans toutefois être trop effrayés, même si la chose restait surprenante. M avait eu un petit soubresaut tout à fait naturel quand le contact et le déclenchement avaient eu lieu.

Au bout de quelques secondes à peine, les sphères s’immobilisèrent, chacune d'elle avec un cercle vide dirigé vers le haut. Du fond des trous alignés, une sphère bleutée, comme holographique, s'extirpa. Elle monta à la hauteur de deux mains et demi au dessus des sphères solides, et s’arrêta. Puis, elle tripla de volume, dévoilant une vue tridimensionnelle singulière, tout aussi bleue qu'elle même, semblable à un zoom sur une agglomérat de poils, en trois dimensions.

A lâcha un un soupir d'émerveillement.

M reconnu vaguement la structure de l'Intramonde dans ce que représentait la sphère. Il approcha sa main de la sphère.

« B aurait sans doute fait en sorte que ce soit interactif… »

Il frôla de sa main la sphère bleutée. Son annulaire passa a travers la surface, faisant tourner l'image tridimensionnelle dans la même direction que celle qu'il avait fait prendre à son doigt. Des marqueurs apparaissaient à certains endroits quand il se déplaçait. A et M se regardèrent, aussi interloqués qu'amusés. M glissa les deux mains dans la sphère. Il écarta les doigts. Le zoom sembla augmenter. Ils voyaient les mailles plus grosses. M en toucha une de l'index. Celle ci, ainsi qu'un petit nombre de mailles adjacentes brillèrent alors d'un halo plus clair, comme si il s'agissait d'une sélection. M lança un bref regard à A, puis répéta son geste, touchant à nouveau les mailles concernées.

Et, trop rapidement pour qu'ils aient le temps de réagir, la sphère bleutée retourna dans les sphères de métal. Il y eut un petit son électrique, et les sphères métallisées se remirent à tournoyer. Un bruit qui semblait en provenir, comme un bourdonnement harmonique, amplifiait progressivement. Puis, l'ensemble des sphères pulsèrent.

Quatre lignes bleues sortirent de la plate forme dans laquelle était enchâssée la sphère. Elle partaient de quatre points équidistants, vers quatre directions opposées, comme un X dont le bas aurait été orienté en direction de la porte. A mi longueur des traits, ils bifurquaient de façon à être parallèle à la porte. Tout comme le motif qui semblait gravé sur celle ci. Les lignes faisaient bien la largueur d'une main. Au bout de la longueur d'un bras, elles se fondaient par transparence avec le reste du fond blanc du monde.

A allait manifester son émerveillement, quand les lignes pulsèrent.

Derrière la porte, dans un autre bourdonnement, apparurent deux lignes parallèles, à droite tout comme à gauche, du même style que celles qui partaient de la sphère, séparées en hauteur par la même distance que les lignes parallèles précédemment décrites. De chaque côté, elles bifurquèrent à quarante cinq degrés pour aller se rejoindre en angle droit derrière les engrenages de la porte. Ceux ci vrombirent.

Et, soudainement, ils se mirent en branle à une vitesse prodigieuse, dans un fracas des plus assourdissant, comme si leur rotation était alimenté par les rayons bleutés. Cela souleva un vent assez fort pour gêner M et A, qui se mirent alors le bras devant leurs yeux. Des éclairs bleutés sortaient de derrière les engrenages.

La porte était effectivement impressionnante dans sa mise en marche. Comme sortant des engrenages sur les cotés de la porte, des rayons bleues vinrent remplir le motif gravé dans la porte, le X, dont le centre était la pierre bleutée enchâssé dans un cercle. Celle ci s'alluma d'un éclat impossible à fixer, dans un son harmonique et prolongé. Au bout de quelques secondes, sa lumière baissa progressivement jusqu'à devenir supportable.

Toute la porte, hormis le disque du centre dans lequel la pierre était enchâssé, recula alors dans un grondement, laissant voir, autour, un cadre de porte de la même couleur que celle ci, qui n'était cependant pas plus épais qu'un cheveu, tout en étant aussi profond que la porte l'était elle même. De haut en bas, une lumière coupa la porte en deux, comme si elle s'ouvrait, tout en contournant le disque à la pierre bleutée resté en avant.

Et, en même temps que la folle et assourdissante danse des engrenages s’arrêtait, les deux battants de la porte pivotèrent vers l’extérieur, vers le fond. Alors qu'un monde de collines herbeuses se dévoilait aux yeux ébahis de ceux qui avaient maintenant l'impression de n'être que d'impuissants touristes, le disque et la pierre descendirent vers le bas, pour s'insérer à moitié au centre de la partie inférieure du cadre de la porte, dans un son sourd.

Après l’ébahissement, M et A eurent une légère impression de déjà vu. De l'autre coté de la porte, ils pouvaient voir un monde où il n'y avait que des collines herbeuses, ensoleillées, sans arbres. À une certaine distance, ils pouvaient aussi distinguer de multiples temples abandonnés, toujours en bon état.

Ils s'avancèrent lentement vers la porte. M passa sa main dans le cadre de celle-ci. Une membrane presque invisible, épaisse comme une bulle de savon, semblait séparer le monde dans lequel ils étaient de celui des collines, à la moitié du cadre de la porte. Il avança lentement son bras, puis se décida à y pénétrer entièrement. Une fois de l'autre côté, depuis l'herbe, il fit signe à A que tout allait bien. Celui ci le suivi alors.

A, en passant le portail, se souvenait de ce qu'il avait dit la dernière fois qu'il était venu ici, alors guidé par cette chatte télépathe dont il avait oublié le nom.

« Tant qu'à faire... Autant visiter ? »

Tout ça s'était passé il y à quelques heures, mais ça leur semblait pourtant bien plus loin à tout les deux.

« C'est le même monde que celui qu'on à vu avec la chatte ?… » demanda A, une fois de l'autre côté.

« On dirait bien… » M marqua une pause, puis reprit. « Tant qu'a faire… Autant visiter ? » dit il d'un avec une pointe d'ironie, en le regardant.

Ils montèrent alors en haut d'une des collines, pour aller voir l'un des temples.

Au bout de quelques dures minutes de marche, ils furent devant l'entrée de l'un d'entre eux. De là où ils étaient, ils pouvaient en voir trois, dont celui depuis lequel ils regardaient les deux autres. Ils étaient tous gris sombre. Couleur béton.

Ils entrèrent donc. Le soleil, malgré son presque zénith, réussissait à éclairer l'intérieur du temple. Même si c'était une incohérence, personne ne pensa à la relever. A vrai dire, les motifs du fond du temple semblaient bien plus intéressants.

Plusieurs cercles concentriques. Sur chaque bande, on pouvait voir des symboles comme M en avait déjà vus chez B il y à longtemps. Et d'autres symboles, des ensembles de trois points ou traits verticaux. Un peu comme un code trinaire, un peu comme du morse. A était déjà excité rien qu'à l'idée de décrypter tout ça.

Le centre du motif où étaient les cercles était illisible. À vrai dire, plus on allait vers le centre, plus les motifs et les lignes semblaient effacés. Autour des cercles, sur les murs, sur toute leur hauteur, un code horizontal composé des mêmes caractères à trois points et traits que de ceux des cercles partait de la gauche de l'entrée, et longeait tout les murs jusqu'à revenir à la droite de la large ouverture rectangulaire. A quelques endroits, on pouvait aussi y voir les symboles curieux. M avait pour certains une vague idée de ce qu'ils signifiaient.

L'un deux, un point qui était le centre d'un demi cercle dirigé vers le haut, représentait le nord, selon son souvenir. Il regarda le motif de disque du fond de la salle. Il reconnu immédiatement le symbole de Xenodarkus, que celui ci avait aussi en guise de visage. À moins que ce ne soit plutôt ce qui lui sert de visage qui ai inspiré le symbole. Le symbole de Xenodarkus n'était pas aussi près du centre du disque qu'il aurait cru. En suivant l'une des lignes qui entourait le symbole de Xenodarkus, M fut étonné de ne rien voir à son opposé sur le cercle. Il aurait trouvé ça cohérent d'y placer B. Tout le motif ressemblait à un vaste travail d'organisation inachevé. C'est sans doute pour ça que le milieu du disque n'était pas lisible. Il vit le symbole d'un truc que B lui avait expliqué, sans même réussir a se souvenir de ce qu'il signifiait. Puis, il vit un autre symbole, qui, malgré le fait qu'il ne l'avait jamais vu, lui paraissait on ne peut plus clair.

A revint vers lui, l'air penaud.

« Ce code est sacrément… Codé. » Il marqua une pause. « Il faudrait vraiment être fou pour vouloir écrire comme ça. »


« Ou avoir des notions de style particulières… » dit M, de la façon la plus neutre possible.

A haussa les épaules. M reprit.

« B m'avait dit qu'il voulait une écriture comme celle là pour l'Intramonde. Quand il m'a demandé combien de possibilités ça faisait pour en faire un alphabet, je lui ai dit douze. Puis, j'ai recalculé, et me suis aperçu qu'en fait, son code était limité à huit caractères. Quand je lui ai dit, il à dit qu'il en ferait un code basé sur la phonétique. Puis, il à ajouté qu'au vu de la complexité, il faisait confiance à son inconscient pour qu'il le réalise tout seul. »

A comprit alors que B cherchait rarement à vérifier la cohérence. Il imagina celle-ci comme une épée de Damoclès, prête à broyer sans concession tout ce qui n'aurait pas correspondu à une sorte de vérité mathématique. Il trouva ça horrible. Et il comprit soudainement pourquoi B pouvait être content de ne pas avoir aimé les maths.

M passa sa main sur le centre du dessin, dans une vaine tentative d'en faire tomber une poussière qui aurait pu masquer le reste de celui-ci.

« Ça fonctionne un peu comme un plan hiérarchique. Plus on se rapproche du centre, plus les symboles représentent des choses… Comment dire… »

« Importantes ? »

« Plus ou moins… Je crois pas que ce soit exactement l'idée. »

A s'approcha pour regarder lui aussi.

Les symboles lui semblaient en toute logique être des raccourcis de leur version en écriture Intramondiale. Il reconnu lui aussi l'œil de Xenodarkus. C'était le genre de choses qu'on oubliait pas.

« C'est marrant, là. Il y a des traits qui sont des symboles… » dit M. « Juste dans un sens différent, et pourtant… Ils ne veulent pas pour autant dire la même chose. » Il pointa du doigt les trois symboles. « B m'avait aussi dit quelque chose a ce sujet. »

« Il t'en à dit tant que ça ? »

« Il adore tellement en parler. »

A se souvint effectivement de la fois ou lui et B en avaient discuté en face. Il se souvenait maintenant que ses yeux semblaient pétiller.

« Quel narcissique », ajouta t-il.

Ils étudièrent les symboles sans pour autant en tirer grand chose. C'était comme tirer des conclusions sur l'histoire d'un livre à partir de sa couverture.

Les symboles étaient si épurés, n'étant souvent que quelques lignes, qu'il en était difficile d'en tirer quoi que ce soit. Tout au plus, ils réussirent a reconnaître Giratina. Celui ci était très loin du centre. Et au même niveau hiérarchique, ils virent deux autres dessins. Ils en conclurent que c'était sans doute deux autres Pokémon, peut être même ceux justement liés a Giratina dans les jeux vidéos, et les films que M avait vu.

Ce fut à peu près tout ce qu'ils réussirent à tirer des gravures. Le reste était soit trop capillotracté, soit simplement trop bancal.

Au bout de quelques minutes, A se leva. Ils étaient restés accroupis trop longtemps pour étudier le bas du dessin.

Il fit quelques pas en direction de la sortie. Il vit que le jour avait déjà commencé à tomber. Puis, il remarqua quelque chose de scintillant, plus bas, au niveau de la porte qui leur avait permis de venir ici.

« M ! »

Le disque de pierre avec sa gemme bleutée enchâssé était à nouveau au milieu de la hauteur de la porte. Celle ci n'était pas fermée, mais le disque flottait dans les airs au milieu du cadre de la porte. Et sa pierre scintillait.

M accouru. « Quoi ? »

Quand il vit la pierre scintiller à la hauteur d'un homme au dessus du bas du cadre de la porte, il n'eut pas besoin de beaucoup de temps pour comprendre que la porte ne pouvait pas avoir beaucoup de raisons de chercher à se faire remarquer. Comme pour lui indiquer qu'il avait déduit correctement, la pierre brilla plus fort. Un son sourd venant de la pierre elle même traversa toute la plaine.

« Merde ! Courrons ! »

A et M descendirent en cavalcade la colline. Ils faillirent tomber plus d'une fois. Ils leur restaient encore une distance de deux fois la longueur de Giratina avant d'atteindre la porte.

M et A commençaient à peine à reprendre leur souffle en bas de la colline que la pierre brilla de nouveau plus fort qu'à l’accoutumée. Dans un grondement sourd, les battants de la porte commencèrent à se refermer, lentement mais sûrement.

M n'attendit pas plus longtemps, et commença à courir. A suivait de peu, ayant réagi un peu en retard.

Les portes étaient à quarante degrés d'être fermées.

M avait la ferme conviction qu'il arriverait à passer, si toutefois il ne tombait pas. Au moment où il pensait ça, A tomba. M se retourna pour l'aider à se relever, puis repartit encore plus vite. Ils ne pouvaient pas laisser passer cette chance de voyager là où ils voulaient.

Quand M passa la fine paroi de la porte, essoufflé, les battants étaient à vingt cinq degrés d'être fermés. Un genou à terre, il tourna la tête pour voir où en était A, tandis que les engrenages tournaient follement, et bien trop bruyamment à son goût.

La longueur qui séparait A de la porte était de la hauteur de celle-ci. A, essoufflé par un effort qu'il ne s'attendait pas à devoir fournir, commençait à désespérer. Il tendit un bras vers l'avant. M attrapa sa main, et le tira vers lui. A sauta en avant. Les battants étaient si serrés qu'à une seconde de plus, il n'aurait sans doute pas pu passer.

A, s'écroula à coté de M. Après quelques instants, il s’accroupit. M, lui, se mit a genoux. Dans un claquement sourd, la porte se ferma. Puis, elle glissa vers l'avant pour revenir former une dalle lisse avec le disque a la gemme. Les engrenages stoppèrent net leur course, les rayons qui arrivaient sur eux disparurent, et ceux qui partaient de la sphère métallisée retournèrent d'où ils venaient. Celle ci pulsa avant de s'éteindre puis stoppa elle aussi son tournoiement. En quelques secondes, le tintamarre avait laissé sa place au silence, et à la respiration on ne peut plus haletante de A et M.

« Oh… Mon dieu… » lâcha A, en prenant un appui sur le sol.

M eut un rire nerveux. Ses yeux contemplaient à nouveau le vide blanc.

Il leur fallut plusieurs minutes pour reprendre leur souffle. Après ça, le silence leur laissait un arrière goût un peu traumatisant.

« Tu es au courant que si je mourrais, la connexion entre toi et l'Intramonde serait rompue ? » dit A, au bout d'un certain temps.

M le regarda avec un air blessé. « Et alors ? Tu crois que c'est ma motivation à ne pas vouloir que tu meures ? »

Même si A s'était attendu à une réponse du genre, il n'avait pas pensé que la question aurait tant touché son ami. Il n'ajouta rien.

M se leva et retourna vers la sphère métallisée.

Il se mit a genoux devant, la tête en direction de la porte. Et il la frôla de l'index.

Les sphères de métal se remirent à tournoyer dans leur bruit métallique si particulier. Puis, elle se figèrent, et firent sortir la sphère holographique, qui, comme la fois précédente, tripla de volume en face du visage de M.

Celui ci plongea les mains dans la sphère. Il se dit que ça ne valait sans doute pas le coup de retourner au collines, et bougea sa main droite de façon a faire glisser la vue tridimensionnelle vers la gauche. Il toucha un monde au hasard. Celui ci était constitué de beaucoup de mailles, par rapport au précédent.

A l'interrogeait du regard.

« Il y a un monde qui a l'air assez gros, là. » dit M en le regardant. « On pourrait peut être y trouver des gens… Qui sait ? »

A, encore un peu sonné, regarda la sphère holographique quelques secondes, pensif, avant de hocher la tête en donnant son consentement.

M confirma la sélection.

L'hologramme se rétracta dans les sphères métalliques, qui se remirent a tournoyer. Les rayons pulsèrent, les engrenages tournèrent.

Et, plus rapidement que la fois précédente, mais toujours aussi bruyamment, le motif de la porte se remplit. La dalle recula, et s'ouvrit.

M ne voyait que du noir, de là où il était. Il approcha de la porte pour mieux voir, précédé par A.

Un sol grisâtre, du béton, peut être. Sur les cotés et au loin, de sombres formes : des immeubles, d'apparence ultramodernes, mais délabrés. Le béton laissait régulièrement place à de grandes plaques de verre, proprement gigantesques, renforcées par des lignes de métal. La plupart de ces plaques de verre étaient cependant brisées.

Derrière les immeubles, un ciel étoilé. Le vide cosmique habituel pour un univers de science fiction.

L'un des immeubles s'écroula, au loin. Les événements qui avait détruit tout ça n'étaient peut être pas si lointains.

« On va vraiment visiter ça ? » Demanda A.

« On ne perd rien à le faire, à priori… Évitons juste de s'éloigner trop de la porte. »

M passa sa main a travers la pellicule qui séparait les deux mondes. Dans un sursaut, il la retira presque immédiatement.

« Qu'est ce qu'il y à ? » Demanda A, inquiet.

« C'est… Froid… Je ne m'y attendais pas, c'est tout. » Il repassa sa main, plus lentement. Il avança a travers la porte, suivi de près par A.

L'air était effectivement froid. Il n'y avait pas de vent. M passa sa main au sol. Il y trouva une poussière granuleuse.

Ils firent quelques pas. Tout était silencieux. C'était presque angoissant. Seuls les étoiles les éclairaient. Fort heureusement, leurs yeux s'étaient habitués assez rapidement.

Ils avancèrent tout droit. Après avoir passé une clairière entre les immeubles, ils arrivèrent vers une rue, assez large.

Au début, ils ne firent pas attention, perdus qu'ils étaient dans la contemplation des étoiles et des immeubles.

Puis, ils le virent. Par terre, allongé, reflétant partiellement la lueur des étoiles sur son métal gris très sombre. A eu un petit mouvement de recul. M s'immobilisa. La carcasse métallique était couchée sur le dos, la partie inférieure du corps en moins. Les bras étaient allongés le long du corps. Les mains, à six doigts, étaient détendues. Le bras gauche était divisé en deux, à partir du coude, peut être à cause d'un choc. Le buste était renforcé de plusieurs plaques, dont l'une était endommagée. La tête était effilée, avait des courbes dures, et avait la taille d'un crane humain. Une colonne vertébrale renforcée articulait la structure du tronc et du buste. Du bas de celle ci, au niveaux des lombaires, là où la colonne était brisée, coulait sur la longueur d'une main un liquide blanc-verdâtre, et pendouillait quelque chose de jaunâtre. M recula, estomaqué.

Un doigt de la main droite bougea. La carcasse émit un son semblable à celui d'une pressurisation, qui se prolongea une seconde.

Au niveau de la tête, deux disques rouges s'allumèrent, là ou auraient pu se situer des yeux. La main droite eu un petit spasme.

Une voix métallique, altérée, provenant de la carcasse, mais assez variée dans sa sonorité pour être une voix humaine, dit alors, calmement : « Qui… êtes vous ?… »

M et A se regardèrent. Ils ne savaient que répondre. Et étaient un peu apeurés.

La voix répéta. « Qui êtes… Vous ? »

« Et vous ? » Demanda M, plus durement qu'il ne l'aurait voulu.

« Moi… »

Sa main bougea. Elle vint se poser sur son buste.

« J'ai été Elusis… L'empereur Nexusien… »

« Nexusien ? » demanda A. Il trouva ensuite sa question déplacée.

« Nexusien, oui… Vous êtes sur Nexus, notre planète… La première planète de l'Empire Nexusien, celle sur laquelle nous sommes nés. »

« Qu'est ce qui s'est passé ? » demanda M.

« Je ne sais pas… Hector lui même ne savait pas… »

« Hector ? » interrogea A.

« Hector… Notre Intelligence Artificielle… Mon ami… »

M avait de la pitié pour cet Elusis.

A se souvenait bien de ce que B avait dit du fameux Hector.

« Hector, où est-il ? » demanda t-il.

« Il est… » Elusis marqua une pause. « Mort. »

M et A n'osaient rien dire.

« Il m'a fait ce corps… Mais j'attends ma propre mort depuis quinze jours… »

Le silence pesait.

« Seul. » ajouta t-il. « Que venez vous faire ici ? » demanda t-il, en penchant légèrement sa tête dans leur direction.

M répondit sans trop réfléchir. « On ne sait pas exactement… »

Au bout d'un temps, Elusis demanda : « Voulez vous voir ce qui s'est passé ici ? »

M et A se regardèrent. A se retourna vers la porte. Le disque de pierre était toujours enchâssé dans le bas du cadre.

« Oui », répondirent-ils presque en même temps.

Elusis retourna sa main droite, dirigeant sa paume vers le ciel étoilé. Un rectangle holographique apparut, situé à deux mains de hauteur au dessus de celle d'Elusis.

On y voyait par les yeux d'Elusis. Il marchait dans une clairière entre les immeubles. Le ciel était bleu, presque trop. Le sol de verre sous ses pieds laissait voir les nombreux étages de la ville-planète Nexusienne, qui s'étendaient sur plusieurs kilomètres. Il était habillé d'un costume sombre. Il était habillé comme B aurait pu s'habiller si il avait été empereur Nexusien. A s'étonna de ne pas voir le corps robotisé d'Elusis qu'il avait sous les yeux quand il ne regardait pas l'écran, malgré la vue à la première personne de l'enregistrement. Le sol était gris clair, les immeubles aussi. Les passants étaient habillés le plus souvent de gris, avec des vêtements longs. Soudainement, on entendit une voix du même genre que celle d'Elusis, même si ce n'était pas la sienne, dire « Objet massif inconnu en approche. Mode défensif activé. »

Puis, ce fut la panique générale. Ceux qui voyaient ce qu'il y avait derrière Elusis criait, tandis que celui ci se retournait. Derrière lui, il y avait comme de longs nuages noirs opaques, effilochées. À gauche, une grande tour de verre était visible. Au bout de quelques instants, les nuages foncèrent au niveau du sol. Un immense son désagréable retentit. Dans un grincement insupportable, les immeubles s'effondraient là ou la forme d'un noir absolu déployait comme des centaines de bras pour pénétrer les structures par les interstices. Elusis ne bougeait pas. Le son désagréable retentit une nouvelle fois. Des cris provenaient de l'endroit où était la forme. Et celle ci se projeta bientôt dans la direction d'Elusis, à une vitesse fulgurante. Elusis croisa les bras devant son visage dans un réflexe. Dans le même temps, son apparence humaine s'évapora, n'étant qu'hologramme, tandis qu'il était projeté dans les airs. Il retomba plus loin, entre des immeubles. Il resta allongé une seconde, puis se releva. On l'entendit appeler « Hector ! ». Tandis que le ciel semblait clignoter puis se fixer au noir étoilé, la même voix qui avait annoncée la venue de la chose répondit à Elusis : « Je ne sais pas ce que c'est. Qu'est ce qu'on peut faire ? Il a déjà détruit le bouclier et l’atmosphère. » Elusis n'ajouta rien. Hector reprit : « Elusis, je crois qu'il… » Un horrible son, tel un craquement sinistre, retenti. Elusis posa une question. Aucune réponse ne vint. Il hurla quelque chose d’inintelligible.

L'énorme forme noire se dirigea à nouveau vers lui. Il fonça également sur elle. Ses bras se divisèrent en deux, lui en donnant ainsi quatre, tandis qu'il courait en direction de la chose noire en hurlant, visiblement déterminé à la faire souffrir. Une pointe noire le cueillît là ou aurait du se trouver son estomac, et il fut une nouvelle fois propulsé dans les airs. Il retomba bien plus loin, dans un immeuble. La chose fit s'effondrer l'immeuble au même moment. Elusis fut brisé en deux, et ballotté par le flux noir. Puis, il en fut éjecté, et tomba d'une bonne hauteur avant de heurter le sol de l'arrière de la tête. La masse noire gigantesque s’éloignait de la planète par le ciel. Elusis passa sa main droite devant ses yeux. Il commença une phrase.

Puis, derrière l'écran, Elusis coupa la vidéo.

M se sentait mal. A n'était pas vraiment non plus dans son assiette.

« Qu'est ce que c'est que ce truc ? » dit A d'une voix désemparée.

M ne répondit pas. Il fixait le sol, accroupi.

« Pouvez vous faire en sorte… » Commença Elusis. Il y eu une nouvelle fois le son de pressurisation. « …Qu'aucun autre monde n'ait à vivre ça ?… » continua t-il.

M regarda Elusis dans les yeux, d'un air déterminé. Il prit une longue inspiration.

« M… Qu'est ce que c'est que ce truc… » Dit A, attirant le regard de M. « Comment tu veux qu'on s'attaque à ça ? »

« S'il vous plaît. Dites le moi… » interrompit Elusis.

M le regarda de nouveau dans les yeux. Il leva une main vers lui, et la posa sur le buste métallique. « Oui » dit il d'un air solennel.

Elusis ne répondit pas. Ses yeux étaient presque éteints. Il y eu un long son de dépressurisation, presque grinçant, de la part de son corps. Sa main eut un dernier soubresaut.

M recula sa main lentement. Il avait envie de pleurer.

A aussi. Il s'en voulait d'avoir été si égoïste devant Elusis.

Au bout d'un moment, il se levèrent. M se sentait nauséeux. Il tituba. A l'aida à marcher. Ils se dirigèrent vers la porte. Après un dernier regard vers Elusis, ils la franchirent.

Une fois de l'autre côté, A approcha de la sphère. Il passa un doigt dessus. Il y eut un bourdonnement, puis la porte se referma lentement. Ensuite, le motif cessa de briller, les engrenages cessèrent de tourner, et les rayons bleutés disparurent.

M était debout devant la porte, le regard perdu dans celle-ci.

« C'est dommage… Qu'Hector soit mort… » dit A pour lancer une discussion.

M se retourna. Il s'approcha de la sphère.

« Je sais quel monde nous devons visiter. » dit M.

« Hein ? » demanda A.

Il toucha la sphère. Et se mit en tête de chercher un motif, qu'il avait vu dans le temple, dans les motifs affichés ici et là dans la vue tridimensionnelle.

Deux disques en bas à gauche et à droite. Trois traits partant du même point, en haut, et se dirigeant vers trois cercles, un à gauche, un à droite, et un au milieu.

Ça ne pouvait être que ça. C'était la seule chose qu'il connaissait. Il voulait y aller.

Et il trouva le motif, assez éloigné de là où ils venaient d'aller.

Il toucha les mailles concernées. Elle n'était pas très nombreuses. M avait peur de s'être trompé. Pouvait-il vraiment en avoir si peu ?

Il regarda A, qui était impressionné. Celui ci hocha la tête, consentant à ce que M fasse ce qu'il voulait faire.

M toucha à nouveau les mailles.