Intranisation : Chapitre 6: Portes

A se demandait comment il allait s'y prendre. Il était plus paniqué qu'il ne l'aurait voulu, et ses pensées étaient confuses.

Il ne se rendit compte que C s'occupait de sa seringue que quand la longue aiguille lui rentra dans le bras. C s'était déjà occupé de M avant, comme le voulait l'organisation habituelle. A aurait bien hurlé pour l'aiguille si le sédatif n'avait pas déjà eu le temps de troubler sa perception du réel.

Il sentit deux fines aiguilles lui transpercer les tempes comme si il avait s'agit de coton.

Et en face de lui se tenait son monde.

A masqua d'un bref mouvement de bras ses pensées et créations qui traînaient là. Il n'avait jamais beaucoup « joué » sous l'emprise du sédatif Gamma, mais il savait qu'il devait rester concentré sur son objectif, et qu'il ne devait pas se disperser dans des pensées centrées sur lui même. Le sédatif avait comme principal but de permettre une introspection imaginative continue. Le fait de pouvoir se connecter à d'autres esprits avec les machines adéquates et d'autres participants au bout n'était qu'un des aspects secondaires des effets du sédatif, aspect qui n'avait d'ailleurs jamais été approché avant qu'ils ne réussissent a s'en procurer pour qu'eux mêmes ne tentent de passer à travers un mur de l'impossible maintenant obsolète.

Ses pensées étaient un peu éparpillées. Le simple fait d'avoir pensé au sédatif Gamma lui avait déjà fait oublier son objectif, qui lui revint en tête lorsqu'il se demanda pourquoi il était justement sous sédatif.

« Bref. »

Il fit en sorte d'être isolé dans un espace blanc a perte de vue, le genre de monde assez lumineux et spacieux pour avoir la place de faire des expériences qu'on ne peut faire ailleurs.

« C'est moi qui vais ouvrir les portes. Je vais accéder a son esprit, t'attirer au mien, et on aura plus qu'a y aller ensemble. »

Il se dit qu'il avait peut être vu trop grand quand il avait dit ça à M. A vrai dire, il ne voyait absolument pas comment s'y prendre. Si B avait réussi à trouver leur esprits, il ne s'y était pas pris de la même façon. De plus, il n'avait eu qu'à les effleurer, vu qu'eux était dans un état d'esprit d'ouverture, contrairement à l'esprit de B, actuellement, qui devait être dans un état proche du cataclysmique, si toutefois les problèmes d'imagination et de faiblesses de B venaient bien de là. A se demanda soudain quel dose de sédatif avait donné C a B.

« C'est vrai, si ça se trouve il en a pas mis assez… C'est toujours B qui Intranise, au final. »

Puis, il se dit que C avait du leur donner les mêmes doses, pensant à tout comme tout bon infirmier.

Et A se dit qu'il allait devoir jouer au scientifique fou, en mettant sa vie et celles de M et B entre ses mains. Il appréhenda. Pour contrôler le stress, il se concentra sur les effets du sédatif.

Ça allait déjà mieux.

« Bon… B a joint nos esprits à partir du sien… Mais là, il ne peut pas joindre celui de M, tout comme le mien d'ailleurs, c'est donc a moi d'attirer au préalable M à moi ou directement à B… Mh… »

Il ne voyait toujours pas comment faire.

Il se projeta une vision de lui s'étendant comme une énorme bulle pour envelopper les esprits au alentours. Il imagina la bulle exploser au contact de l'esprit de B, et donc lui avec.

Alors lui vint en tête le fait que de plus, l'Intramonde n'était qu'une petite parcelle de l'esprit de B.

« Si tu essaye de forcer sa barrière spirituelle brutalement, son esprit va écraser le tien ! »

Cette phrase de M lui coupa toute envie de foncer brutalement. Cela serait de toute façon aussi dangereux pour lui que pour B et pour M. De plus, si il échouait en tentant n'importe quoi, il faudrait du temps a M pour émerger des effets du sédatif qu'il a reçu, et surtout, il devrait ensuite se débrouiller seul avec un B et un A peut être déjà morts a son réveil, ce qui serait définitivement le pire des scénarios. Non, il devait y arriver, et ce du premier coup.

Il lui fallait une méthode pour sortir de sa barrière spirituel, et pour étudier tout ce qu'il y avait de l'autre côté.

Une méthode pour trouver précisément l'Intramonde ainsi que l'imaginaire propre à M. B n'avait décidément pas pu improviser. Si seulement il avait pu lui expliquer un peu sa méthode…

A réfléchit. Il envisagea de s'étendre non pas comme une bulle, mais comme une sphère pleine. Ainsi, il pourrait trouver l'Intramonde et l'esprit de M facilement… D'un autre côté, il voyait mal comment éviter le contact avec l'esprit de B en agissant ainsi, et il risquait d'être écrasé par un esprit si celui ci n'était pas ouvert à une visite ou une « extraction ».

Cela lui fit réaliser que sortir sous la forme d'une bulle était une sorte de voyage astral, mais sans cordon de retour lié à son corps. Il devait d'ailleurs avoir moyen de sortir de sa barrière spirituelle avec ce genre de cordon. Mais de toute façon, ça n'allait pas non plus ; il ne pouvait pas chercher l'esprit de B et celui de M en même temps avec une seule projection de lui même… Et qui lui dit qu'il aura la possibilité de couper le cordon pour empêcher l'esprit de B d'écraser le sien ? Après tout, si c'était lui même qu'il envoyait la bas, il prenait le risque de lui même se perdre…

Peut qu'il pourrait s'étendre dans plusieurs directions a la fois sous une autre forme ? Ça réglerait tout les problèmes, non ?

Sous la forme de millions de rayons, par exemple ? Si un contact avec l'esprit de B s'effectuait, il aurait le temps de couper le rayon concerné dans le cas ou il ne tombait pas précisément sur l'Intramonde. Il faudrait qu'il voit alors chaque rayon comme un bras qu'il pourrait couper, qui irait alors sonder dans toutes les directions…

En projetant des rayons lumineux dans toutes les directions. C'était si beau et poétique que ça donnait envie d'y croire. Rayonner telle une étoile, et s'étendre dans toutes les directions, sans limites.

Il se rappelait vaguement que B lui avait parlé de ça il y a plusieurs années, en lui faisant écouter une musique.

Il se dit que c'était ça. Qu'il n'y avait de toute façon pas d'autre solution. Et que c'était le moins risqué disponible. Il imagina chaque rayon traverser son mur spirituel. Il s'imagina étoile. Il s'imagina rayonner.

Il était chaque bras, mais restait le cœur des rayons. Il traversait le mur, sous le bruit des éclats de verre. Il allait loin. Plus loin. Il traversait l’espace noir. Plus vite, plus loin. La conviction comme seul carburant. Et, rayon après rayon, il s'écrasa sur un esprit. Il coupait chaque rayon qui ne trouvait pas l'Intramonde ou M. Les rayons fusaient, plus vite, plus loin. Et alors, l'un d’entre eux trouva. Un rayon qui était passé entre tout les obstacles autour de l'Intramonde. Un rayon qui pulsait d'une conviction assez puissante pour y ouvrir un chemin. Et à l’opposé, un autre rayon, dans les premiers à être partis, avait trouvé M presque au même instant.

A revint à A. Au bout de chaque paume, deux sphères brillantes reliées chacune à un rayon qui partait aussi loin qu'étaient les deux esprits qu'il voulait joindre. Il écarta les bras dans les deux directions opposées, et élargit les rayons. Il était le chemin. Il était A. Et le rayon vers l'esprit de B s'ouvrit dans un son fort et éthéré, l'unique rayon se divisant en trois, dévoilant un immense tunnel triangulaire qui allait droit a l'esprit de B. A tourna la tête, et vit M arriver par un tunnel identique, en lévitant. Chacune des trois lignes composant les tunnels triangulaires pulsaient au rythme des coups lointains d'une musique oubliée, tandis que les sphères sur les paumes de A disparaissaient en lui sans même qu'il ne s'en rende compte.

M arriva vers A, un sourire sur le visage, ému devant la réussite de celui ci, qui était aussi merveilleusement mégalomane que minimaliste. Les tunnels était assez larges pour laisser passer n'importe quoi. A invita M, d'un geste de la main, à voler a travers le tunnel vers B.

« J'ai réussi, c'est par là ! Allons sauver B ! » Dit il.

Il s'élancèrent à travers le tunnel, volant vers un mal inconnu dont il ne connaissait rien.

« Mais, le sauver de quoi ? », se dit A juste peu avant de traverser une frontière opaque et grisâtre.

Il se demandait comment il avait pu reconnaître l'Intramonde avec si peu de détails. Il avait confiance en sa sensation lorsqu'il avait touché cette surface, mais, malgré tout…

Un écrasement soudain. Une poussée vers l'avant, toujours plus forte. Réduit a la taille d'un rien. Compressé.

Ils naviguaient a travers des structures grisâtres et larges, un peu comme si ils étaient dans les mailles qui compose l'Intramonde, poussé par un quelconque flux. En tout cas tout ça allait trop vite pour qu'ils y distinguent quelque chose. Ils étaient toujours aussi écrasés. Une façon de leur faire comprendre qu'il n'étaient pas à leur place, sans doute. Il avaient la sensation de tomber. Ils ne sentaient quasiment pas leurs corps, leur projection vacillait. Ils tentaient de s'accrocher a tout ce qui pouvait passer a leur portée, mais il n'y avait rien, et leurs projections semblaient instables. Puis, soudain, un autre craquement, plus aigu, suivi d'un son bien trop répétitif. Ils avaient déjà senti ça.

« Une plaine. Tout, mais pourvu qu'on arrive dans cette foutue plaine. »

La même sensation d'écrasement et de chute, lente, inexorable. Du gris sur un fond blanc. La sensation d'être soudainement plus lourds, et de reprendre consistance malgré tout. Et un contact sous leurs pieds. À nouveau, la même blancheur. La sensation d'écrasement s’arrêtant, la fatigue les prenant. Ce n'était pas le monde devant eux qui vacillait, mais eux, cette fois. Ils s’effondrèrent maladroitement sur un sol gris, sur une plate-forme au dessus du vide blanc. Un vide blanc qui semblait sans limite autour d'eux. Un vide lumineux.

Ils se laissaient partir, se sentant bien trop faibles pour bouger. Puis, au bout de ce qui leur semblait être des minutes, M s'assit à même le sol, doucement, contemplant le vide lumineux, les bras autour des genoux. A se releva lui aussi, tout aussi prudemment.

« Ou sommes nous ? … » dit A.

« Ne me pose pas la question, c'est toi qui a visé cet endroit… » Dit M, fatigué, qui continuait de laisser traîner son regard dans le vide blanc en respirant profondément.

A avait une main sur le sol pour s'appuyer. Et il remarqua alors la petitesse de la plate-forme ronde. A peine de quoi se tenir a eux deux allongés sur le sol. Il se retourna pour regarder de l'autre coté de la plate-forme.

Il ne pu s’empêcher de lâcher une exclamation.

M tourna la tête pour voir ce qui avait surpris A.

De l'autre coté, la plate-forme continuait jusqu'à une autre plate-forme ronde plus large de diamètre, qui elle même continuait encore de la même façon jusqu'à une immense dalle de pierre verticale, aussi grise que le sol, qui n'était relié a rien d'autre, même pas a un mur. Le haut de la dalle était aussi en demi cercle, et dépassait largement la taille de M et de A si ils s'étaient mis l'un sur l'autre a la verticale. Derrière cette dalle, à droite et à gauche, en symétrie parfaite, des engrenages cuivrés, énormes, de la taille d'un pneu de voiture, dépassaient. Au centre de la dalle était incrusté une pierre bleutée de la taille d'une main, entourée par un cercle parfaitement géométrique d'un diamètre du double de la taille de la pierre bleutée elle même, taillé dans la dalle. Deux lignes droites elles aussi taillées dans la pierre partaient du bas et du haut du cercle taillé, se prolongeant jusqu'au extrémités hautes et basses de ce qui n'était pas une dalle, mais une immense porte de pierre fermée. Depuis le cercle jusqu'au bord droit et gauche partaient huit lignes, dont les points de départ sur le cercle étaient régulièrement espacés. De chaque coté, deux de ces lignes partaient parallèlement en diagonal vers le haut, tandis que deux autres des mêmes lignes partaient de la même façon vers le bas, avant que toutes ces lignes ne changent de direction a la moitié de leur longueur pour aller a l'horizontal rejoindre les bords de la porte, là ou se trouvaient les engrenages.

Au sol, à mi chemin d'eux et de cette porte, une demi sphère a la couleur de l'acier dépassait du sol.

« C'est une porte ? » demanda A à M.

« C'est bien le genre de B, une porte aussi énorme et mégalomane… Et je suppose qu'elle doit être importante… »

Ils s'approchèrent de la sphère qui dépassait du sol.


Bonus :

Spoiler: